Mardi 3 novembre 2009 à 0:06

http://crispix.cowblog.fr/images/IMG0069.jpg

Le jour où je l’ai perdu, le ciel était noir depuis déjà deux heures. Le vent soufflait dans les branches nues et soulevait les cheveux des passantes.
Le mois de novembre battait son plein et nous promettait déjà un décembre glacial.
Je marchais doucement, profitant du calme de la rue et de la vue que m’offrait la Seine ondulant au pied de Notre-Dame. Armée de mon appareil photo, j’immortalisais les moments importants : La petite bouquiniste rousse tendant une photo soigneusement emballée de la Tour Eiffel de nuit ; un pigeon sur le muret; deux amoureux assis en contrebas, leurs pieds à quelques mètre des flots.
Et je songeais qu’il me plairait de vieillir ici, à Paris, de vendre des cartes postales, des vieux livres et des photos sur le quai de Montebello et de faire face à Notre-Dame, tout au long de la semaine, pour enfin venir m’asseoir le dimanche, en compagnie de mon petit vieux à moi, pour la contempler. Le jour où je l’ai perdu, donc, je rêvais paresseusement à un futur lointain, tout en songeant au millier de tâches qu’il me faudrait accomplir en rentrant chez moi. C’est donc à regret, que j’ai laissé, au-dessus de moi le quai de Montebello en m’enfonçant dans la bouche de son RER.
Une petite quinzaine de minutes plus tard, je poussais enfin la porte de mon 20 mètres carrés, en plein centre des Halles, essoufflée par l’ascension périlleuse des quatre étages qui me séparaient de mon palier. Je compris en ouvrant le réfrigérateur, que mes jours étaient comptés si je ne me décidais pas à faire quelques courses. Mourante de faim, je ne me nourris ce soir là que d’un yaourt dont la date de péremption était outrageusement dépassée… Le jour où je l’ai perdu, je n’avais dans l’estomac qu’un vieux yaourt au citron périmé…
 

Samedi 17 octobre 2009 à 1:19

Ce soir là était un soir normal, ivresse normale, ombres, verres vides.
La musique ondulait entre les tables, les cigarettes embuaient les fenêtres, les voix se caressaient le creux de l’oreille, les mains s’effleuraient, les bouches s’emmêlaient.
Ce soir là tout était normal. Ambiance tamisée, sourires figés. Jo au piano, Lucie au micro, et Eric, peinard, accoudé au bar.
Ce soir là était un soir normal, ivresse normale, ombres, verres vides.
Jusqu’à ce qu’elle entre. De sa seule présence, elle déchira le voile d’ennui qui nappait les tables éparses, enrobait les esprits échaudés par l’alcool, et tapissait les murs du bar.
Elle fit un pas, puis deux, dans le silence le plus total et l’admiration générale.
Chacun de ses mouvements était aériens, doux comme une caresse, libre comme une ombre, vivant comme un sourire.
Elle ne marchait pas, elle glissait. Elle portait une robe rouge baiser et des talons noirs.
Ses longs cheveux se baladaient le long de son dos et son parfum emplissait l’air d’une vanille sauvage.
Jo entama une Sinatra et elle se mit à danser, à tournoyer dans la pénombre, à onduler comme la musique. « I‘ve got you under my skin »
Je n’avais jamais vu plus sensuelle, plus mystérieuse, ni plus belle femme au monde, que cette inconnue qui tournoyait. « I’ve got you deep in the heart of me»
Elle était là sans que je ne comprenne pourquoi, elle dansait, flottait, me heurtait à chaque mouvement de cœur. Elle me caressait l’âme. Je devais l’apprivoiser. Je la voulais serrée contre moi. « So deep in my heart, that you’re really a part of me »
Ce n’était pas un dancing, à peine un club, juste un petit bar. Mais elle y était entrée. Elle n’était que de passage, et je n’étais qu’un étranger.
Techniquement tout était clair. Psychologiquement non. Psychologiquement, rien n’est jamais clair mais techniquement si.

Jeudi 8 octobre 2009 à 18:32

Une crampe me vrillait les orteils depuis déjà trois bonnes minutes, mais je n’osais bouger de peur que son mollet délicat ne quitte définitivement l’entremêlement sensuel de nos jambes nues.
Sa poitrine se soulevait imperceptiblement au rythme de sa respiration. Mon souffle brûlant caressait doucement sa clavicule, tandis que ses longs cheveux roux chatouillaient le creux de mon cou.
Les ombres de la lune sur les murs de la chambre vide, dansaient pour nous un gracieux ballet.
Tout dans cet instant était absolu parfait.
 
L’obscurité de la chambre ne gênait en rien ma contemplation et je distinguais sans peine les minuscules tâches de son qui parsemaient ses joues et ses épaules.
Les ailes de son nez qui frémissaient, le galbe de sa hanche se dessinant sous ma main. La finesse de ses traits, et la délicatesse de ses paupières closes.
Elle était si belle que c’en était presque douloureux.
 
Tout dans cet instant était absolu parfait, si ce n’est peut-être cette retenue que je m’imposais et qui me brisait le cœur à chaque seconde. Cette envie maîtrisée qui m’empêchait de la toucher, de lui parler, afin de ne pas briser le fil de son sommeil et de la laisser vivre dans ce rêve.
 
Mais déjà l’obscurité ambiante se dissipait, et le bleu du petit matin me délivrait enfin de mes folies, de mes espoirs sans vie.

Jeudi 8 octobre 2009 à 17:42

http://crispix.cowblog.fr/images/02Chemin.jpg

C’était silencieux comme une gare, seulement ses pas qui résonnaient.
Je me souviens d’avoir chuchoté : Adieu. Puis de l’avoir regardé partir, sans bouger, ni même tenter de le retenir. Avec à l’intérieur l’envie de se vomir.
J’ai entendu le craquement qu’a fait mon cœur quand il s’est fissuré. J’ai senti le froid de la solitude se répandre en moi quand son contenu s’est esquivé.
Mon cœur n’était plus qu’une cavité à la fois vide et pleine de l’écho de ses pas qui me fuyaient.
Rien ne serait plus jamais comme avant. Il avait refermé la porte en sortant. J’étais enfermée dedans.
J’ai ouvert une fenêtre, et me suis évadée. Alors dans la lumière des réverbères, dehors, contre le vent, j’ai avancé.
J’ai suivi la route pavée de mes souvenirs, j’ai marché dessus, les ai battus et martelés jusqu’à ne plus pouvoir les sentir.
Puis sans rien dire, je me suis effondrée.
J’ai tenté de me relever, j’ai forcé mes lèvres à s’étirer, j’ai encouragé ma vie à avancer.
C’est comme jouer 1 million à quitte ou double, on peut tout perdre ou tout gagner, mais dans un cas comme dans l’autre, on n’ose jamais rejouer.
J’ai déjà misé, et j’ai déjà perdu. J’ai déjà tenté et j’ai été déçue.
Je pourrais rejouer, mais je ne peux plus.
Quel sentiment dire alors quand en face de soi, c’est seulement l’évidence qui s’expose, qui s’impose : je suis malade de toi.
Puis partant, remontant une à une les rues qui m’avaient vu fuir, j’ai retrouvé ma fenêtre, l’ai de nouveau franchi, et en la refermant, j’ai senti le parfum lourd et entêtant du chagrin, anesthésier chaque parcelle d’espoir tapie dans les recoins.
Ainsi, enfermée dans ma rancœur, accablée par mes erreurs, plus rien ne pouvait ni m’atteindre, ni me nuire. .
C’est plus fort que tout la prescience de mourir.

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast